Souvenir brésilien

Souvenir brésilien

J’ai toujours pensé qu’un souvenir n’avait qu’une seule vie, qu’il restait intact à jamais au fond de ma mémoire. Jusqu’au jour où une statuette s’est brisée. Souvenir brésilien

C’était une statuette grossière et mal sculptée. Son seul mérite était qu’elle venait du Brésil. Elle représentait une femme noire tout en courbe. Sa robe était d’un orange vif et ses cheveux qu’on devinait longs et crépus étaient remontés sous un foulard, d’où dépassaient des créoles. Son buste était légèrement penché en avant, comme si elle attendait un baiser.

Je l’avais ramené de mon voyage et j’avais remporté avec elle tout ce qui m’avait enivré là-bas : la chaleur de l’audace, les courbes de la vie, les couleurs de ses gens, une euphorie mélancolique, un à-peu-près exotique attendrissant. Cette statuette, c’était tout cela.

Un soir, je rentre chez mes parents et il manque quelque chose autour de la coiffeuse de mon enfance. C’est un sentiment étrange de retrouver un univers familier avec une pièce manquante. L’harmonie n’est plus, comme une planète manquante à notre galaxie.
– Je suis désolée, la statuette est tombée quand j’ai passé l’aspirateur.
Ça m’a rendu triste.

Un souvenir perdu, c’est un pont vers son passé qui s’effondre. Le mois suivant, je suis entrée dans mon ancienne chambre, la statuette avait ressuscité.
– Je l’ai faite arrangée par Sylvie.
Sylvie, c’est ma copine potière. Une nana libre et énergique, au tempérament et à la chevelure de feu et des yeux verts aussi larges que son sourire. Au retour d’un de mes voyages, on s’était retrouvés sur le quai de la gare et ma mère avait proposé de la ramener. Elle la revoyait de temps en temps sur les marchés du coin. 

En une seconde, d’autres souvenirs sont apparus. Celui de ma mère qui me demande le téléphone de Sylvie, celui où elle va à son atelier la statuette en éclats sous son bras. Je les imagine au chevet du cadavre de mes souvenirs brésiliens. Elle a dû déposer le corps fracassé sur son établi, lui demander s’il y avait des chances qu’elle revive. Sylvie a dû poser le diagnostic, s’atteler à la reconstruire, se lamenter en silence de la qualité bon marché de cette pièce grotesque. Son travail d’artisane a valu bien plus que le prix auquel je l’avais achetée.
– Elle n’a même pas voulu que je la paye. Elle a dit qu’elle le faisait pour toi.

Cette statuette est devenue une grande pièce montée de souvenirs. Maintenant, à chaque fois que je vois cette statuette, je retrouve la chaleur du Brésil et aussi celle de 2 cœurs qui m’accompagnent.

Les souvenirs ne fanent pas avec le temps, ils fleurissent eux-aussi, ils s’entassent, ils s’entrelacent, ils s’embellissent. Il suffit seulement de les partager pour qu’ils se transforment. Souvenir brésilien

Barcelone.

Philippe & Peggy
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